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Otages, justice et politique par Salima Ghezali

’enlèvement, puis la libération du wali d’Illizi, garderont le caractère inachevé que la communication officielle laisse dans son sillage, à chaque évènement important. Pour cette fois, le citoyen a le choix entre prendre, pour argent comptant, les déclarations1 du ministre de l’intérieur, celle de certains titres de presse ou d’un parti politique. Le citoyen ordinaire ne se fera d’idée définitive, sur la question, qu’en fonction du degré de confiance développé avec la rumeur la plus proche. Quatre jours avant l’enlèvement, l’envoyée spéciale du Quotidien d’Oran, brossait un tableau où se retrouvent tous les ingrédients d’une situation – limite. Ce qui est étonnant, dans ce type de contexte, ce n’est pas qu’un enlèvement ait lieu… c’est le contraire.

Pourtant, au moment où « les pays du champ », concernés par le terrorisme dans la région du Sahel, se réunissaient cette semaine à Nouakchott, il aurait été édifiant de prendre la mesure de la détermination des stratèges algériens, à faire, du refus de paiement de rançons, la panacée universelle, en matière de libération des otages2.

Le débat sur le sujet, s’il avait eu lieu en toute transparence, dans le sillage des multiples enlèvements qui ont ciblé particulièrement la Kabylie3, puis suite à la prise en otages des marins du Blida au large des côtes de Somalie4, bien avant l’enlèvement du wali d’Illizi, aurait permis, peut-être, de mieux cerner la question, dans ses aspects politiques et judiciaires, notamment, plutôt que de faire de l’Algérie l’otage d’une démarche qui, jusqu’ici, semble considérer que ce problème est, ou trop local ou trop global, pour relever d’une stratégie nationale.

La Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme, a réagi5 à l’arrestation à Paris de l’ancien cadre du FIS, fondateur de Rachad et de l’ONG Al karama, Mourad DHINA, en prenant position contre son éventuelle extradition vers l’Algérie. La LADDH considère que la justice algérienne ne remplit pas les conditions d’indépendance requises en matière d’affaires politiques. Une position largement partagée, sur la place publique et au sein de la classe politique. Et même au-delà, comme l’a illustré, récemment, l’arrestation et l’audition, par une procureure suisse, du général Nezzar6.

Aucune déclaration officielle n’est venue, pour l’instant, ni du côté algérien ni du côté français, éclairer l’opinion sur cette affaire. Ce qui laisse le champ libre à toutes les spéculations7. Et l’on retombe forcément sur une histoire de barbouzerie, comme il s’en produit tous les jours aux quatre coins du monde. La justice n’est pas seulement le bras armé du droit.

Le célèbre juge Garzon se retrouve lui-même aux prises avec la justice de son pays, en grande partie par ce que les guerres civiles ne se terminent jamais totalement, même s’il vaut mieux les continuer devant les tribunaux qu’à coup de bombes et de massacres.

Dans une interview publiée dans le dernier numéro de la revue Politique Internationale8, le juge Marc Trévidic, spécialiste des affaires de terrorisme, relevait qu’il était très difficile à un juge de s’extraire de toute considération politique alors qu’il travaille sur une matière elle-même très politique : « Certains dossiers ont été très influencés par le politique, et cela, dès le départ : le Rwanda évidemment, mais aussi le dossier des opposants iraniens. C’est bien, en effet, pour des raisons purement politiques qu’on a laissé des groupes, implantés en France, agir à leur guise, sous la surveillance des services de renseignement, avant de les frapper du jour au lendemain… Ce fût le cas des Kurdes, des tigres Tamouls, des opposants iraniens. On voit là, à quel point le domaine judiciaire peut-être instrumentalisé. Car nos ennemis d’hier sont nos amis, et inversement… »

Il n’est certainement pas à l’ordre du jour de comparer la liberté de ton, les conditions de travail, la marge de manœuvre et les prérogatives du juge Trévidic avec ses homologues algériens.

S’il faut certainement, et jusqu’à ce que l’Algérie devienne un véritable Etat de droit, jouissant d’une justice indépendante, comprendre, voire soutenir, les appels contre l’extradition des nationaux poursuivis à l’étranger, on ne peut, pour autant, s’arrêter là. La solidarité de rigueur envers toute personne menacée dans ses droits et libertés, ne peut empêcher la critique politique.

Il est -pour le moins incompréhensible- que des opposants aguerris, se sachant poursuivis par les autorités algériennes et, connaissant, non seulement les liens développés au plus haut niveau entre réseaux algériens et français, mais également le lourd passif de la France9 en la matière, se rendent, quand même, sur le territoire français !

Quand un ancien cadre du FIS qui venait d’organiser une manifestation ayant regroupé une cinquantaine de personnes devant l’ambassade d’Algérie en France, se retrouve en prison à Paris, au moment où tout un monde interlope s’agite autour des prochaines élections- tant algériennes que françaises- ! En arabe, en kabyle ou en français cela s’appelle -au moins- avoir la mémoire courte.

C’est à croire qu’un génie (très politique) veille à fournir, à certains réseaux de la Françalgérie, les otages qui lui manquent dans ses négociations avec ses otages algériens habituels.

Notes :
1 - a) Libéré mardi en Libye : Le wali d’Illizi remis aux autorités algériennes
- b) « Le kidnapping du wali était un acte prémédité »
- c) Sa libération était attendue hier dans la soirée
- d) NOTES DE VOYAGE - Illizi : l’eau, Belmokhtar et le biométrique
2- L’Algérie défend le principe de la criminalisation du paiement des rançons en cas de prise d’otage.
3- On a recensé jusqu’ici plus de 67 enlèvement en Kabylie ces dernières années
4- Otages algériens des pirates : Rappel des faits
5- Communiqué de la LADDH sur l’arrestation de Mourad Dhina
6- Entretien avec Philip Grant
7- ALGÉRIE : Ce que cache l’arrestation de Mourad Dhina
8- Politique Internationale : La revue
9- On relèvera l’assassinat d’Ali Mecili et les multiples harcèlements dont ont été victimes les islamistes réfugiés en France…