(Array|find{904}|oui)
7 septembre 2011
La crise de confiance entre les algériens et les pouvoirs publics a connu sa forme la plus aigüe de ces dernières semaines dans les affrontements de quartiers. Diars-echems, Beni-Messous, Bab el oued pointent du doigt l’impossible gestion pacifique d’un relogement géré de manière bureaucratique et vécu comme un déplacement forcé. Les explications officielles n’arrivent pas à convaincre et la voie de l’affrontement violent semble encore une fois privilégiée.
Un logement et des voisins.
Le wali d’Alger est ‘rentré de silence’ comme la plupart des responsables qui, sans être en vacances, n’étaient tenus par aucune ’obligation de parole’ envers les algériens. L’été a pu être ainsi bouleversé par des heurts entre citoyens ou entre ces derniers et des forces de police pour des affaires relevant de la gestion des affaires publiques (sécurité, mœurs, eau, électricité, logement, environnement) les principaux responsables sont néanmoins restés silencieux. On imagine aisément que des dignitaires qui ne doivent rien à la population (et surtout pas les postes qu’ils occupent) ont de leurs responsabilités une vision qui ne coïncide pas forcément avec les attentes de leurs administrés. Alors que la promesse de relogement des habitants de certains quartiers insalubres était présentée comme une prouesse de la présidence de Bouteflika voici qu’elle vire au cauchemar. Sans doute les pouvoirs publics croyaient sincèrement que les familles figurant sur les listes de « relogement » allaient par leur joie démentir tous les pronostics sur une rentrée sociale difficile. Il n’en fût rien pour des raisons que les bureaucrates ne peuvent pas comprendre. En plus de logements, les habitants de quartiers insalubres veulent se retrouver dans un environnement proche et non-hostile.
Qu’est-ce qu’ils veulent ?
A Diar- echems, à Bab el oued , à Beni messous pour ne parler que de cette semaine et de la capitale… les citoyens ne sont pas contents et le font savoir à coup de routes coupées, de signaux de fumée visibles à des kilomètres et de blocs de pierres. De plus en plus rompus à une nouvelle forme de « guérilla urbaine » ils tiennent tête aux forces de sécurité en mettant à profit leur maitrise du terrain munis d’épées, de blocs de pierre et de divers objets pyrotechniques aux effets dévastateurs. Leurs compatriotes mieux lotis ne comprennent pas toujours ce qui motive ces contestataires. Et par ce que l’ignorance est le défaut le mieux partagé dans une société sous domination brutale, certains s’interrogent sur ce « qu’ils » veulent de plus. Interrogés, les contestataires déclarent qu’ils ne veulent pas être « expulsés » « exilés » « jetés » loin de tout ce qu’ils connaissent. Ceux de Diars –echems qui refusent d’aller à Birtouta et veulent rejoindre le site de Sebala où a été relogée la première vague des habitants du quartier ne font pas tous l’unanimité, leurs motivations ne sont pas forcément aussi avouables qu’il y parait ni leurs méthodes approuvées par tous. Pourtant, même leurs pires détracteurs reconnaissent que l’administration a pendant trop longtemps laissé pourrir la situation, que sur les sites d’accueil, les relogés sont souvent accueillis par des riverains hostiles. Ce fût le cas à sebala où les premiers relogés de diars echems se sont retrouvés en « territoire hostile ». La deuxième vague de relogés veut aller « renforcer » à Sebala la première vague et non être isolée à Birtouta. Avoir la frustration et le rejet violent des demandeurs « locaux » comme principal comité d’accueil renforce les « relogés » dans leur détermination à exiger d’autres sites que ceux arrêtés par l’administration. Aussi « archaïque » que puisse paraître cet attachement des gens à leurs habitudes, à leur voisinage, ce « houmisme » n’est pas une invention algérienne. Il est l’expression du malaise contemporain qui se décline sous la forme d’un capitalisme brutal ailleurs et qui prend la forme d’une mauvaise gouvernance manifeste ici. Dans tous les cas c’est l’exclusion du processus de prise de décisions concernant leurs propres vies qui angoisse, motive ou révolte le plus les contestataires
« Nulle part, désormais les citoyens n’ont part aux décisions qui gouvernent leur existence. Qu’il s’agisse de l’exercice de leur citoyenneté, de l’organisation de leur travail, ou de la pérennité de leur emploi, rien ne dépend d’eux. Ils ne maîtrisent rien(…) Rares sont ceux désormais qui travailleront où ils sont. La plupart devront aller chercher un travail où ils auront la chance d’en trouver. Ce sera toujours dans d’énormes mégapoles. S’y rassembleront des foules innombrables de déracinés, qui n’auront plus à compter sur aucune communauté dans leur travail ou dans leur voisinage.(…) Ayant souvent à changer d’entreprise, de logement, et même de spécialité, ils nomadiseront dans la société, et jusque dans leur propre existence. En une vie aussi segmentée, discontinue, fragmentaire, qu’y aura – t-il qui leur soit propre ? A quoi se sentiront-ils unis ? En quelle communauté auront-ils leur identité ? »1
Jusqu’à quel point faudra-t-il se suffire des explications officielles exclusivement policières sur le caractère délinquant de ceux qui s’impliquent dans les affrontements ? Même l’existence d’une foule de « parasites » qui exploitent chaque opportunité de désordre pour en profiter ne peut occulter le fait que le « déplacement » est vécu comme un « déracinement ».
Une violence peut en cacher une autre.
Aux affres du déracinement dans ses retombées sociales, culturelles et économiques se rajoute l’histoire immédiate de déplacements qui ont été le prélude à l’extermination. Encore une fois la carte des grands massacres de la sale guerre dans la banlieue algéroise montre que ce sont des populations extirpées par la violence de leur milieu d’origine qui ont été privées des « solidarités primordiales » qui ailleurs assurent la survie. L’attachement des gens à leur quartier, à leur voisinage et à la proximité immédiate de leurs habitats habituels n’est pas l’indice d’une « arriération » houmiste ou tribale mais un besoin de sécurité auquel l’Etat n’apporte aucune réponse convaincante. En arrière-plan de ces révoltes de quartiers se tient silencieuse la masse des plus d’un million de déplacés de ces dernières décennies. Sur elle plane l’énorme doute qui pèse sur les intentions de l’Etat.
A Bentalha, Raïs, comme en de nombreux autres lieux de sinistre et récente mémoire ceux sont des « déracinés » qui ont été exterminés.2 A Hassi- messaoud ceux sont des femmes ne pouvant compter sur aucune solidarité familiale ou de voisinage qui ont été livrées à la brutalité bestiale de leurs agresseurs. Les conflits les plus récurrents ces dernières années mettent face à face des groupes de personnes qui ne se reconnaissent pas de liens de proximité essentielle et qui vivent leur cohabitation imposée comme une constante et mutuelle menace.
« Au cours des deux dernières décennies, il ya eu une forte augmentation du nombre de personnes qui ont été « expulsées »(…) J’utilise le terme « expulsé » pour décrire une variété de conditions : le nombre croissant de pauvres vivant dans une misère abjecte, les déplacés des pays pauvres qui sont recasés dans des camps de réfugiés formels et informels, les stigmatisés et les persécutés des pays riches qui sont destinés aux prisons, les travailleurs au corps détruit à la tâche et rendus inutiles à un âge bien trop précoce, des populations surnuméraires pourtant capables mais parquées dans des ghettos ou des zones. Mon propos est que cette expulsion massive signale en fait une transformation systémique plus profonde qui a été documentée par petits bouts, par bribes, mais pas vraiment présentée comme une dynamique globale qui nous emporte vers une nouvelle phase du capitalisme mondial. »3
La gabegie, la mauvaise gouvernance, l’état de ni guerre ni paix qui caractérisent le pays ont produit des dysfonctionnements multiples et croisés auxquels le pouvoir s’obstine à vouloir apporter des réponses brutales et partielles. Inspiré probablement en cela tant par sa tendance « naturelle » à l’autoritarisme que par une partie de l’élite convaincue que la fonction de l’état est de nationaliser le global : En adoptant les stratégies brutales de l’Otan, le cynisme des marchés et l’égoïsme complice des élites dominantes à des pans entiers de populations considérées comme « hostiles ».
In la Nation le 06-09-2011
Notes
1 - Nicolas Grimaldi : L’individu au 21ème siècle.
2 - Voir à ce propos : Les déplacements de population : Un drame occulté. Algeria Watch.
3- Saskia Sassen lire