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Entretien avec Farid Cherbal : Une des faiblesses majeures des syndicats autonomes est de n’avoir pas su articuler leurs actions avec les luttes pour les libertés démocratiques...

Les syndicats autonomes non invités à la tripartite qui vient de s’achever ont dénoncé très fortement l’Ugta qu’ils qualifient de « syndicat alibi du pouvoir ». Que recouvre la grande fracture entre l’Ugta et les syndicats autonomes ? S’agit-il d’un simple problème de concurrence entre organisations, concurrence alimentée en sous-main par un gouvernement soucieux de diviser le mouvement syndical pour mieux émousser la vague de contestation sociale ? Cette fracture ne renvoie-t-elle pas plutôt à une fragmentation plus profonde au sein du monde du travail entre employés de la fonction publique passés au syndicalisme autonome, travailleurs du secteur économique public (industriel, transport, financier, services…) restés attachés à l’Ugta et travailleurs du secteur économique privé national (formel ou informel) et étranger qui sont très peu voire pas du tout syndiqués ? A moins qu’il ne s’agisse des deux à la fois ?

Farid Cherbal : A mon avis, cela renvoie avant tout à l’histoire et à la mémoire sociale de l’émergence du mouvement syndical autonome algérien après octobre 1988. En effet, il ne faut jamais oublier le rejet radical et définitif par la jeunesse algérienne lors de la révolution démocratique et sociale d’octobre 1988 (dont nous allons fêter dans 2 jours, le 23ème anniversaire) du système des dragons noirs de la pensée unique, de la police politique, de l’ex-parti unique, de son syndicat unique (représenté par la bureaucratie syndicale de l’UGTA) et de ses organisations de masse qui sévissaient dans notre pays avant octobre 1988. Le mouvement syndical autonome algérien s’est constitué avant tout en rupture avec les pratiques antidémocratiques et antisyndicales de la bureaucratie syndicale de l’UGTA.
Il est clair aujourd’hui que la fracture entre le mouvement syndical autonome algérien et l’UGTA est devenue plus complexe en raison de l’évolution politique et sociale qu’a connue notre pays depuis octobre 1988.

L’échec du mouvement syndical autonome algérien à s’implanter dans le secteur économique public et privé explique en partie cette fracture. Il faut préciser aussi que la politique répressive du pouvoir a contribué en partie à contenir les syndicats autonomes uniquement dans le secteur de la fonction publique. D’autres éléments structurent aussi les divergences entre l’UGTA et les syndicats autonomies. On peut citer la crise politique et sécuritaire des années 1990 qu’a vécue l’Algérie, l’absence d’un débat sur le syndicalisme en Algérie et surtout la faiblesse des relais politiques et sociaux autonomes hégémoniques dans la société qui a empêché la convergence des luttes syndicales dans le secteur économique et celui de la fonction publique.

Peut-on réduire l’Ugta à un « appareil vide » entièrement soumis au gouvernement alors que l’on a vu, ces dernières années, des syndicats de base, à l’instar de ceux d’ArcelorMittal Annaba et des ports, mener des luttes très importantes ?

Les luttes menées par le mouvement syndical démocratique et revendicatif à l’intérieur de l’UGTA ont montré au contraire la détermination et la vitalité de la base syndicale de l’UGTA chez Arcellor Mittal, au port d’Alger, à la SNVI (Rouiba) et à la SNTF pour faire aboutir ses revendications socioprofessionnelles.
Ce qui est remarquable dans ces trois mouvements, c’est le mode opératoire autonome, revendicatif et démocratique adopté par la base syndicale durant les différents mouvements de grève qui ont secoué ces 4 secteurs l’année dernière. La base syndicale de l’UGTA à ArcelorMittal, à la SNVI et à la SNTF se bat désormais comme les syndicats autonomes démocratiques et revendicatifs de la fonction publique.

Les syndicalistes de l’Ugta qui tiennent aux caractères autonome et combatif de leur organisation ont-ils encore des perspectives à l’intérieur de la centrale ? Peuvent-ils concrètement agir aujourd’hui pour dynamiser leur organisation ou la situation est-elle trop sclérosée pour que les choses bougent de l’intérieur ?

Cela dépend avant tout des rapports de force politiques et sociaux dans la société algérienne des années à venir. S’il reste isolé face à la bureaucratie syndicale, ce mouvement syndical démocratique et autonome à l’intérieur de l’UGTA est appelé à disparaître. En effet, ce mouvement syndical démocratique et revendicatif a plus que jamais besoin des relais sociaux et politiques autonomes dans la société pour pouvoir émerger comme un acteur syndical autonome. Les syndicats autonomes démocratiques et revendicatifs et les nouveaux mouvements sociaux de jeunes comme par exemple la CNAE (Coordination Autonome des Etudiants Algériens), le Comité National des chômeurs, le mouvement des médecins-résidents regroupés à l’intérieur du CAMRA (Collectif Autonome des Médecins Résidents Algériens) peuvent jouer un rôle social déterminant dans le cadre de la résistance sociale et de la solidarité syndicale pour pérenniser ce mouvement syndical revendicatif et l’aider à émerger comme un acteur syndical autonome et revendicatif.

Le mouvement syndical autonome constitue incontestablement l’aile marchante du syndicalisme algérien. Quels sont ses points forts, ses contradictions, ses faiblesses ? A quels défis est-il confronté ? Que penser de son attitude à l’égard de l’Ugta ?

Oui, je suis d’accord, le mouvement syndical autonome démocratique et revendicatif algérien est un agent historique depuis le 15 octobre 1996, date du début de la grève du syndicat CNES (Conseil National des Enseignants du Supérieur) démocratique et revendicatif. Cette grève fondatrice du syndicat CNES historique a cassé le mur de la peur, produit de l’espoir pour toute la société algérienne et permis la renaissance/fondation du mouvement syndical autonome algérien. Aujourd’hui, l’avenir du mouvement syndical autonome algérien est intiment lié au syndicalisme revendicatif historique de la classe ouvrière algérienne (représenté aujourd’hui par la base syndicale d’ArcelorMittal, la SNVI, la SNTF, le port …) et aux nouveaux mouvements sociaux représentés par la CNAE, le comité national des chômeurs, le CAMRA…
Ces mouvements sociaux de jeunes chômeurs, d’étudiants et de médecins-résidents sont les capteurs sociaux qui expriment aujourd’hui la réalité des luttes sociales de la jeunesse algérienne. Ces mouvements sociaux organisés de jeunes sont l’antidote à l’émeute comme expression politique dans notre pays depuis 10 ans. Ils sont aussi l’antidote à la fatalité et à la désespérance exprimée par les jeunes algériens dans la harga… Ces mouvements sociaux organisés de jeunes algériens balisent à mon avis les futures luttes sociales dans notre société.

Par contre, il faut souligner une des faiblesses majeures des syndicats autonomes algériens représentatifs et qui agissent aujourd’hui sur la scène sociale, c’est leur incapacité à intégrer ces mouvement sociaux des jeunes dans leur dynamique de lutte sociale. Nous remarquons aussi que la majorité des syndicats autonomes ont été aussi incapables de faire un saut qualitatif en articulant dans leur luttes quotidiennes leurs revendications socioprofessionnelles avec les revendications sociétales de la société algérienne, comme les luttes pour les libertés démocratiques, les droits de l’homme, les droits des jeunes chômeurs, les droits sociaux et économiques de la société algérienne.

Peut-il y avoir des perspectives et des lutes communes entre syndicalistes de l’Ugta et syndicats autonomes ?

Oui, les perspectives de luttes communes existent entre les mouvements sociaux des jeunes, les syndicats autonomes et le mouvement syndical revendicatif et démocratique qui existe à l’intérieur de l’UGTA, car la lutte pour les droits sociaux et économiques est une et indivisible. La convergence des luttes des mouvements sociaux, des jeunes (Comité national des chômeurs, CNAE et le CAMRA), des syndicats autonomes et du mouvement syndical autonome de la base de l’UGTA est déterminante et centrale pour l’avenir du mouvement syndical algérien et pour l’aboutissement des revendications sociales et économiques des jeunes et des travailleurs du secteur économique et de la fonction publique.

In la Nation 04-10-2011

Hocine Belalloufi